Valérie Lagrange - articles "Longueur d'ondes"

 
 

articles Bio Fleuve Congo interviews Longueur d'ondes

1991 1985 1984


Longueur d'ondes (1991)




Photo Longueur d'Ondes


interview réalisée en 1991 par Harmonie pour le magazine Longueur d'Ondes

A CONTRE-COURANT

Je m’appelle Harmonie, je suis née en même temps que ce journal, ce qui veut dire que j’ai huit ans et demi. Comme mon père est journaliste, je vais parfois avec lui aux concerts, et celui de Valérie Lagrange m’a donné envie de faire un article…

La première fois que j’ai entendu Valérie, c’était sur une veille cassette qui traînait à la maison. J’ai tout de suite aimé ses chansons, je ne sais pas pourquoi. La musique est parfois douce, mais d’autres fois, très rapide. J’ai demandé, on m’a dit que c’était « du reggae et du rock ». Il y a une batterie, on entend aussi la guitare et du synthé. Sur scène, le synthé imite d’autres instruments, alors on croit qu’il y a plein de musiciens. Dans ses textes, il y a surtout des mots qui reviennent souvent : c’est « besoin d’amour », « Dieu » et « société ». Valérie, je l’aime parce qu’elle fait des jolies chansons. Je sais pas comment l’expliquer, c’et beau, c’est tout. Des fois elle dit des choses que je retrouve dans ma tête. J’ai surtout retenu qu’elle « est dans le désert et qu’elle a envie de la mer ». Des fois quand je suis toute seule et que je l’écoute, je pleure, parce que c’est triste ou parce que ça me touche beaucoup, je le sens dans mon cœur. Je l’aime, un point c’est tout. A l’interview, j’étais plongée dans mes questions et je n’ai pas trop eu le trac. Elle est sympa, intelligente, douce et intéressante. C’et un bon souvenir. Je crois que je ne l’oublirai jamais…

Pour ceux qui ne la connaissent pas, avant de passer à mes questions, j’ai choisi, pour présenter Valérie, des morceaux de ses chansons. Surtout que je lui ai demandé, avant tout, des explications sur certaines paroles que je n’avais pas bien comprises.

INTERVIEW

Harmonie : Pourquoi dans « Faut plus me la faire » tu dis le contraire des choses ? « J’ai cru des gens si bons qui me voulaient du mal, d’autres si méchants qui me voulaient du bien »…
Valérie : « C’est simple ! Ca ne t’est jamais arrivé de croire que quelqu’un était gentil avec toi et puis finalement tu t’aperçois que non ? Moi, il m’est arrivé de croire que des personnes étaient méchantes puis après, je me rendais compte au bout d’un certain temps qu’elles étaient très gentilles. C’est les choses de la vie. »

Harmonie : « Si t’as besoin de repères, de mettre des étiquettes, viens pas les coller sur moi. Etiquettes-barrières, étiquettes-prisons. » Pourquoi colle-t-on des étiquettes sur les gens ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
Valérie : « Dans la vie, on dit souvent « Untel, c’est un chanteur de rock ; Une-telle, c’est un docteur ou elle, c’est une étudiante. » Eventuellement, on fait des choses, mais moi, je ne suis pas une chanteuse de rock, je suis avant tout, Valérie comme toi, tu es Harmonie, tu comprends ? C’est comme si tu disais : « Lui c’est un soldat. », mais ce n’est pas un soldat, c’est Jean ou Paul. C’est mettre des choses toutes faites sur la tête des gens. Au départ, on est des êtres humains et pas des étiquettes. »

Harmonie : Pourquoi dis-tu « On ne meurt jamais d’accident, ni de maladie, On meurt tous d'amour » ?
Valérie : « Parce que si tu vas tout au fond des choses, c’est par manque d’amour que l’on est malade. Quand on a de l’amour, on n’est jamais mal. Quand on en donne et qu’on en reçoit, il n’y a jamais de problème. Donc en fait, c’est uniquement d’amour que l’on meurt. »

Harmonie : Pourquoi dans « Alerte », tu dis « tous tes ennemis sont là tout autour de toi ». Je n’ai pas d’ennemis moi, qui sont-ils ?
Valérie : Tes ennemis sont la télévision, les voitures qui polluent, l’argent. C’est le contraire de l’harmonie, de l’amour, toutes les choses qui font du mal et qui sont dans cette société. Les militaires qui font la guerre. La télé qui finit par te rendre idiot en t’empêchant d’être toi-même. Tu vois, tout ça, ce sont tes ennemis qui sont là, tout près, mais on ne s’en rend pas compte ».

Harmonie : Qui est la petite voix intérieure qui crie « Au secours », la voix du cœur, celle de l’amour en colère » ?
Valérie : « C’est moi, lorsque j’étais enfant. Tu sais, j’ai été petite, moi aussi et j’ai grandi comme tout le monde mais au fond, je crois qu’on reste toujours des enfants. Et l’enfant qu’on a été, il est toujours là, c’est ça la petite voix intérieure. »

Harmonie : Qu’est-ce que veut dire « Tout est Show-biz, tout est truqué » ?
Valérie : « C’est le show-business. C’est un métier où les sentiments entre les gens ne sont pas très simples, ni authentiques. Les gens sont gentils avec toi parce que tu as un nom, tu es connu, et si un jour, tu as des problèmes, que ça ne marche plus pour toi, tu t’aperçois que tu n’as plus d’amis. C’est très dur ; il n’y a pas de véritable amitié, sincère et profonde. »

Harmonie : C’est laquelle cette « Autre vie qui est en nous et que la société veut assassiner » ?
Valérie : Cette autre vie correspond à ce que l’on est quand on est enfant comme toi ; tout est si simple et pur. Bien sûr, on peut être un enfant méchant mais cela dit, lorsqu’un adulte fait du mal, il le fait exprès, alors qu’un enfant, non ! »

Harmonie : Pourquoi « Dieu reste enfermé en nous et n’attend que l’amour pour se révéler » ?
Valérie : « Parce que c’est comme ça. L’amour est la seule vérité. C’est la seule chose qui vaille la peine de vivre. Sinon, le reste c’est transitoire. Ca va, ça vient, c’est pas réel, alors que l’amour… si ! »

Harmonie : Je ne comprends pas pourquoi les gens qui touchent « La folie » sont « près de la vérité » ?
Valérie : « Le monde est un peu construit à l’envers. Lorsqu’on est enfant, on est vrai et puis après, pour devenir adulte, on nous apprend des tas de choses qui ne sont pas justes. En fait, ceux qui restent comme des enfants ont l’air de fous par rapport aux adultes. Ils ont gardé cette sincérité de l’enfant… »

Harmonie : … Qu’est-ce que ça veut dire sincérité ?
Valérie : « C’est mentir, ne pas être simple et ne pas dire les choses comme elles sont. »

Harmonie : Tu dis que « Tu as envie de la mer parce qu’on est perdu dans le désert ». Quel désert ?
Valérie : « C’est le désert d’un monde sans amour ».

Harmonie : Pourquoi tu ne sors plus de disques ?
Valérie : « Quand mon dernier disque est sorti en 85, Virgin, ma maison de disques savait déjà qu’elle allait me rendre mon contrat. Ils ont alors sorti l’album dans l’anonymat presque total. On en a quand même vendu 25 000, tout seuls comme des grands ! Ils m’ont rendu mon contrat en 86… »

Harmonie : Pourquoi ?
Valérie : « Je ne sais pas. Il y a eu un changement de personnel à cette époque-là et sûrement que je ne correspondais pas à ce que cherchaient ces nouvelles têtes… Je suis quelqu’un que l’on ne manipule pas facilement, alors… Comme j’ai un pied dans ce show-biz mais l’autre qui n’y est pas du tout, j’ai du mal à adhérer complètement à ce milieu, parce que j’aime ma liberté. Je crois que j’aurais préféré être écrivain, quelqu’un qui n’a besoin de personne. J’apprécie beaucoup communiquer avec les musiciens mais c’est avec les maisons de disques que je ne m’entends pas. Maintenant, j’ai recommencé à écrire, à faire des maquettes ; je n’ai encore trouvé personne pour me signer, mais j’ai bon espoir. J’ai réussi à monter un nouveau groupe avec des amis musiciens, on a fait quelques concerts par-ci, par-là et j’espère vraiment trouver une maison de disques pour enregistrer un nouvel album car j’ai une douzaine de morceaux qui sont prêts. »

Harmonie : Que veulent dire les tatouages que tu as sur les mains ?
Valérie : « C’est la lune et le soleil. C’est aussi parce que la vie a été formée avec deux pôles : mâle et femelle, le jour, la nuit, oui et non. Ce sont les deux opposés qui ont créé la vie. Tout fonctionne comme ça, même s’il y a beaucoup de choses entre. C’est un symbole… Tu sais Harmonie, je ne t’ai pas toujours très bien répondu parce qu’après un concert je suis toujours un peu fatiguée ! Ca aurait été mieux que l’on soit toutes les deux, demain matin, j’aurai eu les idées plus claires. »

Harmonie : Oui, mais demain matin, je vais à l’école… Comme toi, je me sens « A contre courant » mais pourquoi les autres ne le sont pas ?
Valérie : « Il y a énormément de gens qui ne réfléchissent pas, qui ne se posent pas de questions, qui souffrent mais qui ne comprennent pas, qui manquent d’amour, et qui ne prennent pas le temps de réfléchir pourquoi ils vont mal et ils marchent dans tout ça, sans se poser trop de questions. Et ceux qui s’en posent, comprennent des tas de choses, eux ! Cependant, tu sais, nous sommes quand même nombreux à être à contre-courant ! »

Harmonie : Que dois-je faire pour être « rebelle, rebelle », défendre la lumière et ne pas laisser faire des choses vilaines ?
Valérie : « Tu dois rester comme tu es, Harmonie et surtout ne pas changer. »




Longueur d'ondes (1985)




Photo Longueur d'Ondes


Rock au féminin
« Faut plus me la faire ». Du caractère, la nana. Campée sur ses deux jambes, elle s’ébouriffe les cheveux. Au départ, la chanson était destinée à voler en éclats dans la tête d’une personne de son entourage. Et dans le milieu du rock, la formule amère, aurait pu revenir souvent dans sa bouche en colère : « C’est triste d’avoir à le dire, de devoir l’avouer mais c’est vrai. Cela signifie qu’on ne fait plus confiance aux gens. Et j’ai maintenant tout un côté de moi qui ne fait plus confiance. J’ai vécu des choses qui m’ont beaucoup appris. Et j’en ai compris d’autres ! En même temps, j’ai tout un côté de moi qui voudrait faire confiance aux gens. Sinon c’est l’abdication de la foi en ce qui fait l’humanité. » Si elle n’a plus vraiment la foi en l’humanité, elle ne manque pas d’une grande et tranquille confiance en elle, la Valérie. Très mystique, vêtue de noir et curieusement ambrée. « Quand j’étais petite, j’adorais Montgomery Clift, Brando, James Dean. Et Katharine Hepburn. Pendant les dix années où j’ai fait du cinéma, on ne m’a jamais donné de rôles magiques. Alors je me suis lassée… Et je me suis de plus en plus branchée vers la musique. »

Aujourd’hui, avec sa lune gravée sur la main gauche, son soleil à jamais imprimé sur sa main droite, elle est imperméable aux froids du dehors et aux persifflements des gens. Le volcan, sous l’écorce. Une douceur toute en passions, tout au fond. Un regard là, ailleurs et partout, comme pris par un tourbillon d’époque d’un autre temps, au cœur des années 80. Et, rêveuse : « la musique, pour moi, depuis longtemps, ça représente le summum. La chose la plus magique où je peux maintenant me laisser aller à l’extraordinaire. » Alors, si elle est rockeuse, femme, cheminot ou pilote de supersonique… sa réponse n’appartient qu’à elle. Et elle n’en a pas ! Rockeuse ? Femme-rock ? Femme ? Rock ? « Je ne sais pas. Je ne réfléchis pas du tout à cela. Je fais ce que je ressens. Je ne suis pas une intellectuelle. Je ne dissèque pas les choses. Pas le temps. J’ai trop de choses, très vastes en tête (et ce n’est pas prétentieux). Le reste, c’est tellement rien par rapport à la destinée que l’on a. Nous avons tellement de choses à apprendre ! Nous vivons quelque chose de tellement énorme, de si mystérieux, que toutes ces étiquettes n’ont pas de sens… si petites par rapport au reste !!! »




« Je ne suis pas rockeuse. Je ne suis rien.
Une simple petite poussière dans l’espace qui essaie d’exprimer quelque chose. »


Article de Nathalie Pinard - Longueur d'Ondes 1985

Et si on évoquait un peu, justement, une étiquette grosse comme les années 70 : le féminisme… « c'était écrit dans l'histoire, c’était obligé que ça arrive.

J’ai beaucoup d’amis à l’origine du mouvement. Ce que je n’ai pas apprécié, c’est quand ça a tourné au racisme : les femmes organisaient des fêtes dont les hommes étaient totalement exclus. Mais, à part cela, il fallait bien qu’un jour, on rétablisse la balance. Car, sur la planète, il n’y a ni hommes, ni femmes, ni races supérieures, ni races inférieures, mais seulement des êtres humains. Mais pour vraiment arriver à un quelconque rétablissement, j’aurais vraiment envie de dire : on efface tout et on recommence. Depuis des millénaires, on est partis du mauvais pied. Mais, cependant, je reste très optimiste. Je crois qu’on avance, quoiqu’il en soit, vers une perfection. »

Féministe ? Valérie refuse l’appellation, de peur que claquent les cadenas d’une étroite prison dont elle détient maintenant « quelque part » comme elle dit, les clinquantes clés, pour de nouvelles envolées. Jusqu’au prochain album, qui s’emmitouflera d’un langoureux cafard en reggae-rock, ou explosera de mille gaîtés colorées. Lagrange n’est certaine que d’une petite chose pour ce futur disque : sa démesure ! Nul doute qu’il faudra alors pour elle, inventer un nom. Un autre nom, à sa nouvelle dimension…

J’ai vu des gens se prendre tellement au sérieux
Qui ne sont que des pitres aux yeux de l’infini,
Et d’autres qui sont pris pour de simples d’esprit
Qui sont les vrais seigneurs de ce monde pourri.

J’ai vécu des moments où je me croyais la reine
Et d’autres où j’étais moins que moins que moins que rien
Des moments où je croyais avoir tout compris
Et le matin suivant ne plus comprendre rien.
Des moments où je voudrais bien ne plus exister,
Mais ce qui est certain…
Faut plus me la faire

Ce texte est venu à cause de quelqu’un, à côté de moi qui m’avait fait flipper en coulisses. Et puis, j’ai transcrit une vérité plus générale. C’est sorti comme une vérité plus générale. C’est sorti comme une espèce de trop-plein. Un trop-plein accumulé pendant des années, et qui s’est exprimé de façon simpliste dans cette chanson. Mais ça n’est qu’une chanson ! »






Longueur d'ondes (1984)



Serge Beyer – Sur la même longueur d’ondes – Printemps 1984 – n° 10


Valérie Lagrange : voilà un genre de personnage que l’on aime bien au journal. Une fille entière, sans concession, qui suit sa route, qui reste simple, qui dénonce beaucoup de choses avec des mots de tous les jours et qui se fout pas mal d’être « à contre courant ».

Elle a vécu plein d’expériences dans sa vie : le cinéma, les voyages, les copains (Higelin, les Ruts…), le rock, la scène… Nous avons profité de la sortie de son dernier trente « les trottoirs de l’éternité » (hélas pas aussi fort que le précédent « chez moi »), pour faire un peu le point sur tout ça.

LE CINE

S.B. Tout le monde sait que tu as débuté dans le cinéma. Sans trop s'attarder là-dessus, j'aimerais savoir ce qu'il t'en reste en 84 ?
V.L. Pour le moment, rien que des souvenirs, mais je n’ai pas du tout laissé tomber l’idée d’en refaire. Simplement, depuis 79 où j’ai sorti mon premier album, disons que j’ai passé tout mon temps à ça, donc je ne me suis pas tellement occupée de cinéma.

S.B. Mais était-ce une bonne expérience ?
V.L. Je ne peux pas dire que j’en ai gardé un souvenir formidable. Disons que si tu me demandes un film préféré, à vrai dire, y’en a pas ! J’ai pas tourné dans des films qui me branchaient. J’ai tourné parce qu’il fallait que je tourne, et que je me disais « bon, je fais ça, c’est pas tout à fait ce que je veux, mais le prochain sera le bon ». Tu vois, j’attendais toujours après quelque chose de mieux et finalement c’est jamais venu ! J’ai quand même tourné un tout petit truc dans « Week-end » de Godard, qui est quelqu’un de vachement intéressant humainement, mais j’avais juste une semaine de tournage, alors c’est pas tellement satisfaisant ! Mais je compte bien dans l’avenir si j’en refais, trouver quelque chose qui me branche vraiment.

LE TUBE

S.B. Côté chansons, il y a eu en 77 « Si ma chanson pouvait » et en 80 le tube « Faut plus me la faire ». Comment t'es-tu réveillée après ce succès ?
V.L. (Rires) Tu sais, ça n’arrive pas du jour au lendemain. Premièrement, on ne voulait pas mettre ce morceau dans l’album quand on est rentré de Londres. On trouvait qu’il était nul, que c’était le moins bien réussi. Et puis, c’est mon fils qui m’a dit « Arrête, c’est vachement bien ». Alors finalement on l’a laissé, mais ça n’a pas marché tout de suite, ça a bien pris deux mois. D’un seul coup, on m’a dit « Ben, dis-donc, ça passe, ça plaît ! » Ca s’est donc passé en douceur. A cette époque, on tournait sans arrêt, on a dû faire 150, 160 concerts en cette année 80, alors j’avais pas tellement le temps de réfléchir à ce qui se passait.

S.B. Justement, la scène, tu comptes bientôt remettre ça ?
V.L. Oui, ça fait bien un an et demi qu’on n’en a pas fait, et là, il est temps de recommencer. On a fait le dernier album avec des musiciens magiques qui ont joué avec Marianne Faithful, Grace Jones, des gens comme ça, et on s’est dit que pour une tournée, on pourrait peut-être les rassembler tous. Mais comme on voulait pouvoir aussi accepter des concerts isolés et que ça n’était pas possible de les faire revenir de Jamaïque ou d’Amérique à chaque fois, on a donc trouvé une nouvelle équipe, et on commence à répéter.

CREATION

S.B. J’aimerais que tu me racontes la création d’une chanson.
V.L. Au départ, c’est une idée, un truc que j’ai en travers quelque part, puis il faut que ça sorte, alors je prends ma guitare, je trouve un accord, mais comme je n’y connais rien, que je ne suis pas une bonne musicienne, c’est toujours au petit bonheur la chance que ça sort. Alors ensuite Ian, qui est le guitariste avec qui je vis depuis une dizaine d’années, écoute et arrange. C'est-à-dire qu’il trouve beaucoup de gimicks, beaucoup de riffs de guitare… Il bâtit, quoi !

S.B. J’ai regretté que le son très rock de l’album « chez moi » soit abandonné dans ton dernier « les trottoirs de l’éternité ». Tu l’as voulu ce changement ?
V.L. C'est-à-dire qu’à l’époque de « Chez moi », j’avais besoin que ça sorte, que ça dégage. Ceci dit, c’est encore le cas, mais c’est à un autre niveau que ça se passe. J’ai envie maintenant d’avoir beaucoup plus de tendresse par rapport au regard que j’ai sur les choses. Toujours le poing en avant, au bout d’un moment je me rends compte que j’ai envie d’attaquer les choses par un biais différent, par beaucoup plus de compréhension et de cœur.

S.B. Moi j’ai ressenti dans les textes une certaine désillusion.
V.L. C’est plutôt un regard différent. Tu sais, moi j’ai vécu plein de trucs, j’en ai vu de toutes les couleurs, je suis passée par plein d’époques : l’expérience du cinéma, puis l’année 68, là j’étais en plein dedans. Ensuite, j’ai tout largué, je suis partie, j’ai fait l’Inde, j’ai vécu la période hippie, j’ai fait la manche… Enfin plein d’étapes, donc, maintenant, j’ai un regard lucide sur les choses. Je fais un constat, pas avec désillusion, mais avec amour, tu vois, je suis toujours à contre-courant, et je le resterai jusqu’au bout, mais je veux aussi comprendre les gens.

PASSIONS

S.B. Quelles sont tes passions quand tu n’as pas la tête dans la musique ?
V.L. Voyager à l’aventure, sans but précis. J’adore la danse… je prends des cours. Et puis, comme j’aime bien manger, je fais la cuisine… j’aime bien faire ça. La lecture aussi me branche bien. J’adore les animaux également, les animaux et les bébés, mais jusqu’à quatre ans. Parce qu’après, ils vont à l’école, on leur fout des trucs dans la tête et là c’est mal barré ! Mais tant qu’ils sont bébés, c’est super, ce sont des anges, des petits Dieu.

S.B. Higelin, pour toi, ça représente quoi ?
V.L. C’est un vieux pote à moi et surtout un grand poète. Quelqu’un qui a des traits de génie, qui écrit certaines lignes comme ça, qui te touchent droit au cœur, qui bouleversent. C’est aussi quelqu’un qui a une vraie folie, mais dans le bon sens du mot. Il peut aussi, je crois être absolument difficile à vivre dans le quotidien, mais il est si génial ! Depuis qu’il est dans le rock, on ne se voit plus. Il vit un truc infernal !

S.B. Parle moi de ta rencontre avec les Ruts.
V.L. Et bien, Ian et moi, on était fans des Ruts depuis longtemps, on avait envie de les rencontrer et quand ça c’est passé, on leur a fait écouter ce qu’on faisait, et comme à ce moment-là, eux avaient un petit moment de flottements, ils ont été d’accord pour faire l’album « chez moi » avec nous ! Donc, si tu veux, c’étaient nos morceaux qui se faisaient un peu dans l’optique de leur musique. Et l’album fut un mélange entre nous et eux. Ensuite, on a fait une tournée. J’avais beaucoup d’amour pour eux, je pensais qu’on pourrait créer, je pensais qu’on était de la même famille, en fait, j’avais un peu rêvé ! Parce qu’à la longue, on s’est rendu compte que les Ruts « condescendaient » à venir jouer avec nous ! C’est un peu dur ce que je dis, mais c’est un peu vrai quelque part ! Moi, j’ai donné, donné. Ca veut dire que quand ils arrivaient, je me mettais en 46 pour qu’ils aient tout ce qu’ils avaient besoin : picoler, bien bouffer, prendre tout ce qu’ils voulaient prendre. Mais c’était à sens unique, et au bout d’un moment, j’en ai eu un peu marre. On a passé une bonne année ensemble, on s’est bien éclaté, on a fait 25 concerts, et puis voilà.

TUNNEL


S.B. Pourquoi ce silence de deux ans entre tes deux derniers albums ?
V.L. Parce que je n’avais plus vraiment l’étincelle. Je suis quelqu’un qui avance lentement, j’ai besoin de savoir où je vais, de garder le contrôle de ce que j’ai à l’intérieur. Ca veut dire qu’après deux ans de tournées, de show-bizz, de promos télés et radios, j’étais un peu dépassée. C’était trop pour moi. J’étais paumée, mal et angoissée. Et c’est pour ça que j’ai mis si longtemps à refaire un autre album, parce que j’étais tellement mal que je ne pouvais écrire que des choses angoissées, et ça ne m’intéressait pas d’angoisser davantage les gens. Moi je veux bien parler de choses réalistes, mais j’ai envie qu’il y ait de l’espoir au bout, tu vois ! Tu peux parler de ce qu’il y a à l’intérieur du tunnel à partir du moment où tu en vois la sortie. Je ne suis pas du tout « No future ». Je suis d’accord que c’est ce qui va arriver si ça continue comme ça, mais en même temps, il faut dire qu’il y a une sortie au tunnel.

S.B. Pour reprendre la phrase-dédicace de ton dernier trente : « On est perdus dans le désert, mais moi j’ai envie de la mer, et ma chanson m’y conduira ». C’est vraiment la chanson qui te sauvera ?
V.L. Je ne sais pas, mais pour moi la chanson est quand même ma certitude intérieure, c’est elle qui me guide, et je recherche l’absolu, un monde meilleur, à travers elle.


haut / top