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Valérie Lagrange - interviews |
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Valérie Lagrange, égérie des années 60 et 70, revient après plus de
quinze ans d’absence.
Son nouvel album composé par
le magicien Benjamin Biolay, est empreint d’une sérénité
qu’on ne lui connaissait pas. Finies les révoltes criées le poing en l’air,
ce Fleuve Congo conduit Valérie sur le chemin
de la rédemption.
Après toutes les épreuves, les souffrances et les erreurs
du passé, c’est une merveilleuse caresse de la vie qu’elle partage avec nous.
LE BONHEUR EST DANS LAGRANGE (extrait de l'interview)
Laurent Courageux : Ecrire et chanter sont pour toi les plus
authentiques façons d’exister, est-ce que l’on peut considérer
ton nouvel album comme un retour à la vie ?
Valérie Lagrange : Oui, ça faisait 17 ans que je n’avais pas
sorti d’album. D’abord parce qu’après
Rebelle, Virgin Records
m’a rendu mon contrat car je ne correspondais plus à ce que la
nouvelle équipe voulait défendre… Et puis surtout, Ian Jelfs,
mon compagnon, qui faisait tous mes arrangements,
est tombé dans le coma, il en est sorti avec des séquelles et je me suis
occupée de lui physiquement, mais aussi psychologiquement. Sporadiquement,
je donnais quelques concerts, mais toute mon attention était concentrée
sur son rétablissement. Du jour où sa santé s’est améliorée, j’ai senti
que le retour à la chanson était vital pour moi.
...
L.C. : Qu’est-ce qui n’allait pas chez toi auparavant ?
V.L. : J’avais une sorte de rage et moins de compassion, pour moi-même et
pour les autres. Aujourd’hui, je me débarrasse du superflu,
je cherche le cœur, l’essentiel, la profondeur dans la relation…
Tout en m’amusant, je ne me prends pas la tête à chaque rencontre.
Avant j’évoquais « amour » et « respect » sans les mettre en pratique.
Et c’est sans doute la raison pour laquelle il y a moins de révoltes
et de revendications dans Fleuve Congo.
Tu connais l’image : « Quand on grimpe une montagne, on ne la voit pas,
il faut s’en éloigner pour apprécier toute sa beauté ».
Au lieu de tout le temps revendiquer, d’hurler mes chansons et
de crier vengeance, aujourd’hui j’ai du recul sur la vie.
Mais j’ai toujours quelques sujets de révolte en moi, rassurez-vous ! (Rires).
Mais je comprends enfin que tout le monde cherche, à sa façon, le bonheur.
...
L.C. : Le nouveau maître du monde étant le Marché, est-ce que la
révolte n’est pas démodée, voire vaine ?
V.L. : En 68, on combattait une société autoritaire et psychorigide,
il fallait que ça saute. L’ennemi était identifiable. Maintenant on vit
sous le règne des multinationales devant lesquelles on se sent totalement impuissant.
Comment arrêter ce bulldozer en marche ? Tout ne va pas bien, loin de là, mais
l’ennemi est virtuel… Je reste persuadée que dans le monde, plus il y a de forces
négatives qui œuvrent, plus il y a des forces positives qui s’organisent.
Je suis sûre qu’on viendra à bout de cette dictature du fric qui nous impose
sa vision du bonheur.
L.C. : Mais si le monde a changé depuis 68, est-ce que certaines
de tes chansons (Faut plus me la faire,
Etiquettes,
Le jeu …) sont toujours d’actualité ?
V.L. : Mais 30 ans dans l’Histoire de l’homme, ce n’est rien !
Je ne me verrais plus écrire ces textes aujourd’hui, mais ils me sont
venus en urgence, comme un cri, ils ont donc toujours une certaine
authenticité. Je suis toujours d’accord avec
Faut plus me la faire.
...
Vous pouvez lire l'article complet de Laurent Courageux dans le magazine Tribumove N°53 - juin 2003
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Fleuve Congo (avril 2003) |
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Propos recueillis par Christian Eudeline
Christian Eudeline : Quelle est la première chanson qui est née de la rencontre avec Benjamin Biolay ?
Valérie Lagrange : Peu après notre rencontre, Benjamin m’a fait écouter plusieurs chansons,
j’ai choisi Fleuve Congo car elle me semblait la plus évidente. C’est elle qui
donne le titre à mon album car c’est en quelque sorte, la première qui est née de notre collaboration.
C.E. : Il y a cette étonnante reprise de La Guérilla écrite par Serge Gainsbourg.
V.L. : Benjamin est un grand admirateur de Serge Gainsbourg, et moi j’avais un
peu oublié cette chanson sortie au printemps 1965, La Guérilla ; pour lui c’était un
titre qui se devait de figurer sur cet album. A l’origine je la chantais avec Los Incas,
un groupe d’origine sud-Américaine, et Serge était persuadé que j’allais fondre pour lui.
Or je venais juste de rencontrer Jean-Pierre Kalfon
dont j’étais très amoureuse et nous avons donc passé une soirée à faire la tournée
des bars, sans savoir quoi nous dire,
lui par timidité et moi par maladresse et par gêne de ne pouvoir satisfaire son désir !
C.E. : Un Jean-Pierre Kalfon également présent via cette reprise de La Chanson de Tessa.
V.L. : Lorsqu’est né ce projet, Benjamin est venu chez moi pour écouter les titres
que j’avais enregistrés dans les années soixante, il a complètement craqué sur "La Chanson
de Tessa" signée Maurice Jaubert et Jean Giraudoux. C’est
Jean-Pierre Kalfon qui me l’avait fait découvrir et nous l’avions enregistrée ensemble à l’époque.
C.E. : Tu te dévoiles énormément dans la quatrième chanson,
Mon amour pour toi.
V.L. : Je n’écris pas avec facilité mais quand cela m’arrive, c’est que
quelque chose à l’intérieur de moi me dicte les mots, je n’ai plus qu’à les retranscrire.
C’est le cas de Mon amour pour toi écrite pour
mon compagnon, Ian Jelfs, mais aussi
de Julien,
Bateau ivre et
La Maison sous les Glycines.
C.E. : Tu as choisi de mettre en musique un poème d’Arthur Rimbaud, Sensations, pour quelle raison ?
V.L. : C’est un poème qu’Arthur Rimbaud écrivit à 17 ans. Je l’aimais
tellement que j’ai eu envie de le mettre en musique. J’écoute beaucoup de
musique indienne et j’ai pensé que le sitar apporterait à ce morceau une
touche de légèreté et un sentiment d’espace et de liberté. C’est Louis Bertignac
qui a enregistré les parties de sitar dans son home studio, un ami musicien népalais
étant de passage chez lui.
C.E. : Tu reprends également une chanson que l’on connaît, chantée
par Georges Brassens, La prière.
V.L. : Petite fille, ce poème de Francis Jammes, mis en musique et chanté
par Georges Brassens me touchait si profondément que je ne pouvais pas l’entendre
sans avoir les larmes aux yeux. Au cours d’une série de concerts en 1998, je l’avais
déjà chantée avec un arrangement oriental. Benjamin a fait appel à
Jean-Claude Ghrenassia qui a rassemblé tout un groupe de musiciens spécialistes
de musique malouf de Constantine.
C.E. : Est-ce que, lorsque tu intitules une chanson Kerouac, c’est un clin d’œil
à tes années passées sur la route ?
V.L. : Après avoir lu "Sur la Route" le livre culte de tous les beatniks,
j’ai eu l’impression d’avoir rencontré en Jack Kerouac
un frère jumeau, un alter ego et j’ai ensuite dévoré tout le reste de son œuvre.
Depuis 1970, il est dans mon cœur profondément.
C.E. : Cette maison sous les glycines dont tu parles existe-t-elle ?
V.L. : C’est une vision que j’ai eue. C’est une chanson de sérénité où
j’imagine la fin de ma vie. Le texte m’est venu, soudainement, en studio alors que
Benjamin travaillait à autre chose. C’est quelqu’un qui irradie et qui m’inspire
énormément. Puis quelques jours plus tard, un matin dans un demi-sommeil,
j’ai rêvé une musique. Aussitôt réveillée, je l’ai enregistrée sur mon petit magnéto.
J’écoute Cesaria Evora depuis des années et je me suis rendue compte que cette chanson
serait idéalement mise en valeur par ses musiciens. Coup de chance : ces derniers
étaient à Paris. Ils ont, tout de suite, trouvé le bon arrangement et le rêve est
devenu réalité ...
Une belle collaboration, tout comme la venue de Jacques Higelin
qui joue de l’accordéon sur Bateau ivre, un vrai plaisir pour moi ...
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Jukebox Magazine (mars 1999) |
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Extrait de l'article de Daniel Lesueur
Au coeur de l'amour
D.L. : Indiscutablement, Ian a transformé, non
seulement ta vie privée, mais aussi ton art, ta perception de la musique.
V.L. : Ian est un artiste précoce. Dès l’âge
de 13 ans, il jouait déjà de la musique. Dans son Angleterre natale, il avait
pour ami d’enfance un certain Mel Collins,
musicien quasiment mythique dont on retrouve le nom sur d’innombrables pochettes de disque.
Ian et Mel ont d’abord fondé les
Stormsville Shakers, puis Ian est venu en France.
Il a dû s’y plaire, car il y est resté ! On le retrouve alors dans
Alice (« Arrêtez le monde »). Lorsque le groupe
a cessé d’exister, Ian m’a rejointe, et nous avons commencé à écrire des
chansons ensemble. En gros, c’est plutôt moi qui trouve les textes et les
mélodies, et Ian les arrangements.
...
D.L. : C’était un événement, ce premier album pour Virgin !
V.L. : Oui ! On nous a présenté les Sinceros, qui nous ont
tout de suite emballés. Et puis j’avais, de toutes façons, envie de travailler
avec des musiciens et des techniciens anglais qui, en ce tout début des
années 80, étaient beaucoup plus calmes, bien mieux organisés et plus
efficaces que les Français. Aujourd’hui, heureusement, nos compatriotes
se sont mis au diapason … mais, à l’époque, c’était infernal, tout tournait
au psychodrame dès lors qu’on faisait appel à un musicien d’ici ! Et puis,
il faut reconnaître qu’ils étaient vraiment moins bons que les Anglais.
Depuis, ce retard a été rattrapé.
D.L. : Nous revoici, treize ans plus tard après la parution de ton
dernier album, Rebelle.
Une fois de plus, tu nous as joué la scène de l’abandon !

V.L. : Ian a connu un dramatique problème de santé,
et il n’était pas possible de continuer de tourner ou même envisager d’enregistrer.
A présent, il se remet, lentement. Pendant toutes ces années, bien sûr,
j’ai continué d’écrire des chansons. Mais, après tout ce temps au chevet de Ian,
je ne me sentais pas la force, encore récemment, de retourner en studio.
C’est pourquoi j’ai considéré comme une bonne idée de reprise de contact,
cette réédition de mes titres passés.
La musique est un cri qui vient de l’intérieur, chantait
Bernard Lavilliers. C’est d’autant plus vrai dans le cas de
Valérie qui chante avec ses tripes.
Et ses tripes à elle, c’est son cœur. Ses paroles sont celles d’une sage
qui mériterait une chaire à l’université. Ces textes qui, pourtant, furent
contestés, attaqués, taxés de naïveté, sont à l’origine de la rupture du
contrat qui la liait à Virgin, comme elle l’expliquait au printemps 1994,
dans la revue Je Chante ! :
" Le problème est venu de ce que Virgin ne voulait plus produire
mes disques si je continuais à écrire mes paroles moi-même.
Ils les trouvaient anti-commerciales. Quand on nous a rendu notre contrat,
Ian l’a très mal vécu, ça été pour lui le début de la dégringolade."
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Je Chante ! - Discographies - Printemps 1994 |
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Photo de Francis Vernhet parue dans le magazine N°14
Comédienne (la jument verte) et chanteuse (la guérilla), dans les années 60,
Valérie Lagrange « décroche » en mai 68. Son cheminement se confond alors
avec celui d’une partie de sa jeunesse : longs voyages, vie en communautés,
expériences de toutes sortes.
Les années 70 la verront, constamment, « on the road » …
Au début des années 80, elle est
la première artiste française d’un nouveau label, Virgin :
nouveau départ, avec le reggae qu’elle introduit en France.
Les années passent …
Récemment sollicitée par l’Heur’ Maxime Chansons,
Valérie Lagrange s’est produite, avec succès, sur la scène de
l’Aktéon Théâtre.
Si I.L.D. réédite ses premières chansons et Virgin (bientôt) ses quatre albums,
elle aimerait enregistrer ses nouvelles chansons …
Extrait de l'article de Raoul Bellaïche et Colette Fillon du magazine Je Chante ! - Discographies N°14 - Printemps 1994
Je Chante : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du reggae ?
Valérie Lagrange : Avec Ian, c’est la musique
qu’on écoutait le plus.
On avait découvert le reggae dans les années 70 et on était complètement
immergés dans cette musique. On connaissait les musiciens, les films
(The harder the come), on allait aux concerts … Peter Tosh, Jimmy Cliff
s’étaient produits en France à cette époque. J’ai vu Marley à New York.
C’est toujours une musique que j’aime énormément.
J.C. : Vous aviez enregistré une première version de "Si ma chanson pouvait" ?
V.L. : Oui. A cette époque, je vivais à Positano, au sud de Naples,
avec toute une colonie de musiciens, d’artistes et de hippies … On jouait
de la guitare, du matin au soir. Il y avait là, entre autres, un musicien
américain, Shawn Philips. Il m’a fait venir en Angleterre pour enregistrer
"Si ma chanson pouvait" avec les musiciens d’Elton John. J’avais écrit
cette chanson à la suite d’une manifestation qui avait eu lieu à Paris,
deux ans plus tôt. En 1969, près de 500 000 personnes avait manifesté parce
qu’un lycéen était devenu aveugle après avoir reçu une grenade lacrymogène
dans la figure. On a enregistré cette première version en 1971. Et puis, je
suis partie en voyage. A Bombay où je me trouvais, j’avais reçu un télégramme
de ma maison de disques me demandant de rentrer faire la promotion du 45 tours
qui venait de sortir … Je venais de passer quatre mois chez les Papous,
j’étais à des années-lumières de ce qui pouvait se passer à Paris. Evidemment,
je ne suis pas rentrée et le disque n’a dû sortir qu’en 50 exemplaires !
C’est une chanson naïve.
J.C. : Dans les années 70, après votre période Philips, il y a eu un trou
dans votre carrière. Vous avez continué à enregistrer de façon peut-être confidentielle ?
V.L. : J’ai été très prise par les évènements de 68. Par rapport à cette
révolution, à tous les niveaux que nous vivions, le show business me paraissait
complètement poussiéreux et sans aucun intérêt. Je n’avais plus envie de faire
du cinéma et de la chanson. Je trouvais ça complètement dérisoire par rapport
à ce qui se passait dans le monde et à ce que je vivais dans ma vie. C’était
une époque bouillonnante … Alors le show business, les disques, tout ça devenait
caduque : ce n’était plus là que « ça » devait se passer mais ailleurs …
J’ai écrit à Philips en leur disant que je voulais arrêter. Je suis partie en
Italie, puis en Nouvelle Guinée pour le tournage du film
La Vallée
de Barbet Schroeder. De là, je suis allée en Inde où je suis restée un an.
A mon retour, je suis allée vivre pendant huit mois dans une communauté du sud
de la France. Ce qui fait qu’entre mon départ de 68 et mon retour en 73,
j’étais constamment sur la route !
Puis j’ai rencontré Ian Jelfs, un super
musicien anglais, et on a commencé à faire de la musique ensemble. Après tout
ce que j’avais vécu, les Indes, les Papous, la jungle, la communauté, j’étais
devenue très marginale. En plus, dans ce métier, j’avais la réputation d’être
une hippie droguée … Avec Ian, on a fait quelques concerts, ici et là, on a suivi
Graeme Allwright, pendant une de ses tournées … Enfin on vivait comme
des nomades.
J.C. : Vous viviez de la musique ?
V.L. : Tout à fait, jusqu’au moment où on s’est retrouvés sans un sou,
à Paris. C’était dans les années 76-77. Alors, nous avons répété une quarantaine
de morceaux de Dylan, des Stones, de Lennon, et à deux guitares et deux voix,
on a fait la manche ! Certains soirs, c’est difficile parce qu’on a pas toujours
envie de faire ça, mais en même temps, c’est une fantastique sensation de liberté.
Dans le pire des cas, on se dit qu’on aura toujours de quoi bouffer et se payer
une chambre d’hôtel. Et d’un seul coup, on se sent sécurisés. On a commencé
à chanter dans la rue puis on s’est constitué une chaîne de restaurants qui
voulaient bien nous accueillir. Et tous les soirs, on partait faire nos dix ou
quinze restaurants ! On arrive quand même à se faire deux cents francs par jour,
ce qui, pour l’époque, n’était pas rien. Non seulement on arrivait à en vivre,
mais en plus, on avait pu réaliser des maquettes dans un petit studio. Et c’est
grâce à ces maquettes que nous avons décroché le contrat chez Virgin.
Comme quoi, la manche, c’est pas si mal que ça !
...
J.C. : Présentez nous Ian Jelfs.
V.L. : Ian a commencé très jeune, vers l’âge de 13 ans. Avec un ami
d’enfance, Mel Collins, un saxophoniste qui a joué avec tous les plus
grands noms du rock anglo-saxon, il a fondé un groupe, Stormsville Shakers
qui faisait du rock, du blues, du rhythm and blues. Après, ils ont créé
d’autres groupes : Motus,
Circus … Puis Ian est venu
en France et il a joué dans le groupe pop français Alice.
C’est là que nous nous sommes rencontrés.
Il a, alors, quitté Alice pour Valérie … (rires)
Ian est un très bon musicien,
une très grande oreille. C’est moi qui l’ai branché sur le reggae et il a,
tout de suite, adoré ça. On a commencé à écrire des chansons ensemble.
Je joue très mal de la guitare mais j’ai toujours eu une certaine facilité
à trouver des mélodies. Je trouvais les paroles et les mélodies et lui, faisait
les arrangements et les suites harmoniques.
...
J.C. : L’écriture, ça se passe comment pour vous ?
V.L. : Je ne sais absolument pas écrire. Je n’écris qu’en état
d’urgence, quand il faut que quelque chose sorte. Les morceaux que j’aime
le plus, sont ceux écrits vraiment sans effort.
Faut plus me la faire est une chanson
que j’ai écrite dans ma loge à Aix-les-Bains, un soir où j’étais très
en colère.
La folie,
Je ne peux plus,
L’amour c’est ma maison,
On meurt tous d’amour ont été écrites
aussi de cette manière et ce sont celles que je préfère.
J.C. : On vous a reproché d’écrire des textes un peu trop simples et naïfs. Mais entre le premier album Virgin et les derniers, il y a une énorme différence. Les textes sont beaucoup plus forts.
V.L. : Au départ, Virgin était une petite maison, avec très
peu d’artistes. J’avais signé avec Branson, ce sont les Anglais qui ont
produit mon premier album. Un an plus tard, j’étais la première artiste
Virgin France. Ce premier album a très bien marché. Le deuxième, pour une
raison que je ne comprends pas, s’est à peine vendu à 25 000 exemplaires.
C’est alors qu’ils ont décrété que c’était à cause de mes textes.
Effectivement, je m’étais faite ratatiner pour mes textes dans tous les
journaux sauf, bizarrement, Le Figaro qui les avait trouvés très bien.
Best, Rock & Folk et toute la presse rock m’avaient traité
de vieille hippie mal recyclée, de boy-scout, etc … Ca avait été terrible.
J.C. : Ca fait mal, des critiques pareils ?
V.L. : Oui, parce que c’était vraiment méchant. Ca m’a fait très mal.
...
J.C. : Votre chanson "Occident", c’est un regard sur l’Occident
par rapport à quoi ?
V.L. : Par rapport à des gens que j’ai connus en Afrique, en Inde
ou en Nouvelle Guinée, qui vivent d’une autre façon. Je suis très attirée
par les tribus, les communautés. Ils ont une vie meilleure que la nôtre,
plus pleine. Nous, on est fait comme des rats dans une souricière,
c’est terrible ! J’espère que les prochaines générations comprendront bien ça.
On est vraiment rétrécis dans nos têtes, c’est pour ça qu’on a si peur
de la mort, qu’on est si angoissé, si violents, si brutaux.
J.C. : Dans la chanson, vous dites : "T’as tout sauf l’essentiel"
V.L. : L’essentiel, c’est d’avoir cette espèce de lien avec l’univers
qui fait qu’on est vraiment un homme. C’est ce qui donne un sens à la vie.
On a perdu toute connection avec le reste de l’univers. Quand on y
réfléchit bien, notre vie n’a plus vraiment de sens. Il faut arriver
à se sortir de ce matérialisme épouvantable ; Il y a, quand même, un
contre-courant à tout ça qui, j’espère, va prendre de l’importance
dans les années à venir. Les hippies et toute l’idéologie des années 70,
c’était retrouver ce sens perdu, retourner à la terre et aux vrais valeurs.
...
Article publié dans le journal Rock Hebdo du 24/05/1978
Valérie Lagrange c’est un nom que l’on connaît, qui va, qui vient qui repart
et qui revient. Depuis six mois, on la retrouve sur les ondes des radios
et il semblerait que Valérie ait décidé de reprendre le micro pour de bon.
V.L. : J’ai commencé en 64, je faisais des films et Gainsbourg m’avait écrit
une chanson qui s’appelait la « guérilla ». Moi j’avais très envie de chanter,
j’adorais la musique, j’étais copine avec Pierre Barrouh et
Francis Lai ;
Francis vivait dans une chambre et il y jouait des trucs à l’accordéon qui
étaient formidables. A l’époque ils n’étaient pas du tout connus. Puis j’ai
rencontré Claude Dejacques qui m’a proposé de chanter des trucs sud-américains ;
j’ai écouté cette musique, ça m’a plu et j’ai enregistré avec Los Incas.
J’ai fait des tournées avec eux, ça marchait bien ; mais je ne composais rien
sauf pour les paroles de quelques titres. Puis j’ai été prise dans l’engrenage,
j’avais Charley Marouani comme agent, je tournais avec Adamo, etc.
J’ai commencé à me défoncer, à fumer mes premiers joints, à prendre mes premiers
trips d’acide. Je m’emmerdais vraiment et un jour j’ai craqué, j’ai carrément
tout laissé tomber. C’était en 68. Je suis partie en Italie où j’ai appris à
jouer de la guitare, mais seulement pour moi, parce que je ne voulais vraiment
plus remettre les pieds dans ce métier. J’ai composé des morceaux puis tout
s’est renclenché naturellement.
JMP : Combien de temps t’es tu absentée du métier ?
V.L. : Je suis restée trois ans en Italie, puis je suis partie un an
et demi en Inde, et j’ai passé 8 mois dans une communauté dans le sud de la France.
D’ailleurs, dans cette communauté, il y avait Jacques Higelin ;
on faisait quelques concerts que l’on organisait nous-mêmes, on louait la salle,
on collait les affiches, on gagnait mille francs mais ça nous suffisait pour vivre ;
on voulait retaper une vieille baraque en ruine, c’était un peu un rêve ;
A l’époque, tout le monde pensait qu’il pouvait se passer des trucs supers,
mais dès que l’été est arrivé, on a vu débarquer toute une bande de types
qui se sont plus ou moins installés et qui restaient là, même quand il n’y avait
plus un rond. Ce qui fait que nous, cool comme on était, on les nourrissait
et ça a tout foutu par terre parce qu’à un moment donné, on n’a plus eu un sou en poche.
Ca a dégénéré, au début, on s’entendait bien avec les gens du coin, ils nous
avaient même donné des maisons, pas prêtées, données. Mais à cause de ces gens
qui, en fait, étaient extérieurs à nous et qui s’en foutaient, on a été asphyxié
et les rapports avec les natifs se sont dégradés. Après cette expérience,
tous les voyages que j’ai fait, le Brésil, les Indes, la Nouvelle Guinée
avec Barbet Schroeder pour le film La Vallée,
je suis remontée à Paris sans un rond,
ma guitare dans une main et mon enfant à l’autre et là, je me suis réintégrée lentement.
Ca a été très dur, j’ai fait quelques concerts dans des maisons de la culture
avec mon ami Ian, puis on a essayé de faire un groupe avec Jean-Louis de Téléphone,
mais nous n’avions aucun moyen et tout reposait sur moi, car j’étais la plus vieille
dans ce métier, celle qui avait le plus d’expérience. Ca a été une suite ininterrompue
de problèmes. J’en ai eu marre et j’ai dit stop. On a recommencé à jouer à deux avec Ian,
jusqu’au jour où j’ai rencontré Jacqueline Herrenschmidt qui m’a proposé de retourner
en studio.
JMP : Quelle est ton attitude par rapport au show biz, tu as été une vedette
traditionnelle, puis tu t’es marginalisée, maintenant, tu navigues un peu entre
deux eaux, comment te situes-tu ?
V.L. : Je vais te dire franchement, je ne connais, en France du moins,
personne dans ce métier que je respecte ; je parle du show biz, c’est-à-dire
des promoteurs, les producteurs, les directeurs artistiques, etc., j’adore la musique,
mais je ne veux pas me laisser piéger par ce métier ; il suffit que tu présentes
le moindre point faible pour que tu sois tout de suite exploité.
JMP : Tu es aigrie ou simplement extrêmement méfiante ?
V.L. : Je ne suis pas aigrie, mais je n’aime pas les gens de ce milieu,
c’est tout. Quand ils me parlent je sais que ce n’est pas pour moi mais uniquement
par intérêt.
JMP : D’accord mais c’est un business ...
V.L. : Bien sûr que c’est un business ; je n’ai rien contre le business,
si j’étais artisan et que je fasse des pots en terre je chercherais à les vendre
mais d’une façon claire et honnête ; dans le show biz il y a trop de magouilles
et de mesquineries.
JMP : Comment conçois-tu ton métier ?
V.L. : Je fais ce métier parce qu’il faut que je communique avec les gens,
il faut que je leur transmette quelque chose qui est en moi, au fond de moi.
C’est pour cela que j’aime tant la scène ; la scène procure le contact et quand
il ne se fait pas, je me sens vraiment frustrée. Evidemment, je ne suis pas totalement
désintéressée, j’ai besoin de blé pour vivre, mais ce qui m’attire en premier,
c’est la communication. Je me souviens qu’en 68-69 au moment où les gens étaient
vraiment branchés, c’était vraiment le pied de chanter pour eux parce qu’ils venaient
non pas pour critiquer mais pour participer pour se rassembler. Maintenant tout cela
est fini, les gens ont perdu le sens de la fête ; maintenant, j’ai un peu la trouille
de jouer parce que je sens la frustration et la tension des gens. Mais tant pis, j’ai
quelque chose en moi que je dois sortir et c’est pour ça que je chante, et si je dois
me passer du show biz et bien je m’en passe. L’été dernier avec Ian, j’ai joué dans la
rue parce que j’étais fauchée, plutôt que d’aller faire du porte à porte chez des
connaissances et devoir des comptes, un jour ou l’autre.
JMP : Des gens t’ont reconnue ?
V.L. : Oui, certains ...
JMP : Et alors ?
V.L. : Eh bien certains se demandaient ce que je faisais là, d’autres ont
dit que j’étais tombée très bas, c’était marrant ...
JMP : Le trip 68 c’est fini non ?
V.L. : Mais non ce n’est pas fini, les gens ont toujours les mêmes besoins,
mais maintenant, c’est enfoncé, ça a été tellement réprimé que les gens n’ont plus
d’espoir ...
JMP : Il n’ont plus d’espoir ou ils ont le plus souvent carrément tourné leur veste
rentrant bien sagement dans le système en devenant encore plus requin que ceux
qu’ils combattaient en 68.
V.L. : Mais justement, si ils sont devenus comme ça, c’est parce qu’ils
n’ont plus d’espoir. Ils se disent « foutu pour foutu, soyons les plus forts possibles
dans le système ».
JMP : L’esprit de 68 tu l’as perdu ou il est encore en toi tel qu’il était ?
V.L. : Ah non ! moi, je l’ai toujours et ça ne me quittera jamais. Quand tu as vu
ce qu’était le festival de Wight, ces 70 000 personnes heureuses et libres tu ne peux
pas ne pas croire que ça c’est pas possible.
JMP : Ce n’est pas une utopie ?
V.L. : Si, bien sûr que c’est de l’utopie. Mais tu sais, je crois que c’est
Wilhelm Reich qui explique qu’à la naissance, tu tombes dans le piège et que tous
ceux qui tentent de sortir de ce piège, de ce moule, sont, soit tués, soit emprisonnés,
soit se marginalisent et se retrouvent dans un ghetto. Et l’utopie de 68, c’était que
l’on voulait sortir du piège.
JMP : Tu crois en Dieu ?
V.L. : Bien sûr, certains te diront qu’il n’y a que la matière mais
c’est tellement évident qu’il existe une force qui régit tout ce monde ...
JMP : Tu penses refaire du cinéma ?
V.L. : Oui, j’aimerais bien, j’ai un agent qui m’envoie des synopsis,
mais il n’y a vraiment rien qui m’intéresse, et puis de toute façon, c’est très bien
que ça ne marche pas, parce que je préfère ne rien faire que faire des trucs
qui ne me branchent pas.
JMP : Tu connais les deux mondes, celui du cinéma et celui de la musique,
quelles différences y a-t-il entre les deux ?
V.L. : Le cinéma, c’est aussi pourri que le show biz, mais les gens de cinéma
sont un peu plus intellectuels, plus cultivés peut être ; ce n’est pas un monde
tellement marrant, ils sont tout le temps en train de faire des références
à un tel ou à un tel, ils se prennent vraiment au sérieux, mais c’est quand même,
un monde un peu plus intéressant que le show biz. Il y a un type que j’ai connu
et que j’ai trouvé assez honnête, c’était Godard ; j’ai tourné avec lui, dans
Week-end,
j’y chantais une chanson, et j’ai découvert un homme très gentil très ouvert.
Et en plus il m’a semblé très honnête. Parce que, en 68, il a arrêté de faire des films
et maintenant, il fait des trucs vides et c’est bien, c’est un type qui avait la gloire
et la fortune à la portée de la main et qui a choisi de rester lui-même, je trouve ça bien.
JMP : Parles moi un peu de La Vallée ...
V.L. : Oh tu sais ..., d’abord, au départ, c’était les gens du living théâtre
qui devaient le faire puis pour des questions d’argent, Barbet Schroeder a demandé
à Bulle (Ogier) et à Jean-Pierre (Kalfon) de le faire ; alors, on a lu le scénario
mais nous, ce que l’on voulait faire, c’était d’improviser sur place, avec les gens du coin,
les gens des tribus. Barbet nous a juré que c’était aussi son idée mais que pour
obtenir l’avance sur recette, il fallait présenter un projet précis, etc., etc.
Nous, nous l’avons cru puis, une fois là bas, il n'y a pas eu moyen d’obtenir la moindre
concession de sa part, il a fallu suivre le scénario à la lettre ; ça nous est un peu
resté dans la gorge. Tu vois, là aussi on s’est fait un peu avoir. On a vraiment pas
du tout obtenu ce que l’on attendait, on pensait avoir des supers contacts avec le
monde environnant et une fois sur place, on s’est vu installé dans des super maisons
climatisées, avec du caviar et du champagne, à tous les repas, enfin rien à voir avec
les tribus de Nouvelle Guinée.
Valérie me regarde, la tête pleine de ses souvenirs si riches ; cette femme est puissante,
belle, pleine d’une énergie qu’on devine indestructible, elle respire l’intégrité,
et à cause de cela, son chemin n’en est que plus dur à parcourir, c’est un choix
qu’elle a fait dont elle est parfaitement consciente, et qu’elle assume avec rage
et ténacité. C’est rare mais c’est souvent de ces énergies là que sortent les plus
belles œuvres.
Propos recueillis par Jean-Marc Patrat, chez lui, devant un bol de café fumant,
un jour de mai gris et pluvieux, dix ans après ...
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